Les conséquences imprévues de la protection des investisseurs

D’éventuels coûts et risques supplémentaires

par Stephen Isgar, chef, Gestion de réseau – Amériques

Les modifications proposées par la Securities and Exchange Commission (SEC) pour renforcer la protection des investisseurs pourraient poser des défis aux dépositaires, aux fonds de placement et aux conseillers en entraînant des conséquences que l’autorité réglementaire n’avait probablement pas prévues. Rédigée au début de 2023, cette première version des modifications à la Règle sur la garde de titres en vertu de la loi intitulée Investment Advisors Act of 1940 est en cours d’examen.

Séparation des actifs

Aujourd’hui, les espèces des clients figurent au bilan du dépositaire et servent à garantir la liquidité intrajournalière, l’exécution des opérations de change et le paiement des frais de règlement. La proposition de la SEC exigerait que les dépositaires qualifiés conservent les espèces, ainsi que les titres et les autres formes d’actifs des clients, dans des comptes distincts et à l’abri en cas de faillite. Il s’agit d’un changement fondamental des pratiques qui pourrait avoir une incidence sur la gestion de la liquidité, le financement et l’octroi de crédits.

Un tel changement nécessiterait l’adoption d’un principe de règlement de provisionnement préalable

Par exemple, ce changement exigerait que le dépositaire effectue des remboursements par transfert des surplus de liquidités au cours de la nuit vers des banques tierces. Par conséquent, les fonds nécessaires au règlement devront être mis à disposition préalablement à l’opération et non plus en fin de journée. Toute réduction du risque connexe serait annulée par le risque de défaillance des banques désignées pour recevoir ces surplus de liquidités. En outre, les dépositaires devraient restructurer leurs plateformes technologiques et repenser leurs modèles d’exploitation afin de mettre en place la séparation des espèces.

Élargissement de la Règle sur la garde de titres

Un autre élément préoccupant, qui a probablement été déclenché par la récente succession d’échecs dans le marché des cryptomonnaies, est la proposition de la SEC d’élargir la Règle sur la garde de titres pour y inclure presque tous les actifs détenus dans les portefeuilles des clients.1 Ce changement exigerait que les dépositaires qualifiés conservent la possession et la maîtrise exclusives d’un plus large éventail de titres. Ces titres comprennent les actifs numériques, les prêts, les dérivés, les contrats de change, les garanties inscrites sur les contrats de swap et les positions vendeur, ainsi que les actifs corporels comme les biens immobiliers, les métaux précieux, les œuvres d’art et les marchandises.2

L’élargissement de la Règle sur la garde de titres pourrait limiter les options de placement

L’élargissement de la Règle sur la garde de titres pourrait décourager les dépositaires qualifiés de proposer leurs services de garde pour certains types d’actifs. Les conseillers et leurs clients pourraient alors disposer de moins d’options de placement. Ce changement pourrait également entraîner une diminution du nombre de dépositaires qualifiés, ce qui engendrerait une hausse globale des coûts pour les clients.

Quel que soit l’actif, les dépositaires devraient en permanence se demander si cet actif devrait être considéré comme « détenu en garde ». En général, un actif est réputé détenu en garde lorsque les critères suivants sont remplis : le dépositaire prend possession de l’actif ; il exerce un contrôle sur cet actif, notamment la capacité de le transférer ; et il en assume la gestion par la tenue de registres, l’administration ou le rapprochement des actifs.

L’actif doit normalement satisfaire à deux de ces trois critères pour que le dépositaire assume les obligations prévues par la norme de diligence liée à la garde des titres. Même si deux des critères sont remplis, le dépositaire peut estimer que le risque associé à l’actif (p. ex., les cryptomonnaies) est trop élevé pour le détenir en garde.

Indemnisation contre les pertes

La proposition de la SEC obligerait des dépositaires qualifiés à indemniser leurs clients contre les pertes résultant de la négligence, de l’imprudence ou d’une faute délibérée dans toute la chaîne de garde des titres, y compris les sous-dépositaires et les dépositaires centraux de titres.2

Le régime d’indemnisation ne tient pas compte des différences structurelles

Le régime d’indemnisation des clients ne tient pas compte des différences structurelles existant entre les dépositaires et les sous-dépositaires. Par exemple, l’utilisation d’un dépositaire central de titres est généralement liée à la décision de l’investisseur d’acquérir des titres qui sont immobilisés auprès de ce dépositaire central. Le dépositaire ou le sous-dépositaire n’ont aucune influence sur la décision de placement.

De plus, la proposition d’indemnisation de la SEC ne fait aucune distinction entre le risque que le dépositaire qualifié peut maîtriser (comme la sélection et la surveillance des sous-dépositaires) et le risque qui existe, peu importe les précautions prises par le dépositaire pour choisir un agent dans un marché en particulier (tel que le risque systémique, le risque géopolitique, le risque économique, le risque structurel et le risque de marché). Les restrictions de marché auxquelles les investisseurs sont confrontés en Russie illustrent ce propos. Ces restrictions sont en grande partie appliquées par les sous-dépositaires locaux à la demande de la Fédération de Russie et échappent au contrôle du dépositaire qualifié.

Les dépositaires pourraient décider de ne pas soutenir les clients détenant des actifs à risque élevé

Par conséquent, les dépositaires pourraient décider de ne pas soutenir les clients qui détiennent des placements dans des marchés frontières à haut risque ou des instruments financiers ésotériques. Selon la Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA), une telle décision pourrait nuire au rendement des investisseurs et à leur capacité à diversifier leur portefeuille.3 De plus, si les dépositaires acceptaient de servir les clients qui négocient des instruments à risque élevé ou qui font des opérations sur des marchés risqués, l’obligation d’indemnisation pourrait entraîner une augmentation des frais facturés aux clients.

D’éventuels coûts et risques supplémentaires

Le secteur soutient largement les efforts des autorités réglementaires visant à renforcer la protection des investisseurs. Cependant, plusieurs des modifications proposées par la SEC à la Règle sur la garde de titres pourraient avoir des conséquences imprévues et susceptibles d’engendrer des risques et des coûts supplémentaires pour les investisseurs et leurs dépositaires en cette période déjà particulièrement difficile.

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